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Des jumeaux numériques pour transformer des friches en quartiers


Au Luxembourg, Agora mise sur le couplage entre BIM et SIG pour transformer les anciennes friches industrielles de Belval et Metzeschmelz en quartiers urbains vivants et durables. Une innovation récompensée cet été par un SAG Award.



Créée il y a 25 ans au Luxembourg, Agora est une société très atypique. Détenue à parts égales par l’État luxembourgeois et ArcelorMittal, elle a pour mission de reconvertir d’anciennes friches sidérurgiques en quartiers urbains modernes. « Nous ne sommes donc pas une agence d’urbanisme classique, mais un développeur-aménageur spécialisé dans les friches industrielles, précise Alexandre Londot, Directeur des opérations d’Agora. Nous accompagnons les promoteurs et investisseurs jusqu’au permis de const ruire et nous envisageons d’endosser un rôle de constructeur, par exemple en construisant des lots de logement abordable et les mobility hubs ». Le premier grand terrain de jeu d’Agora a été le site de Belval, vaste de 120 hectares . Ancien site sidérurgique, il est aujourd’hui un quartier phare de la ville d’Esch-sur- Alzette et de la commune de Sanem. Depuis 2017, la société pilote également le développement de Metzeschmelz, une seconde friche de 62 hectares à cheval entre Schifflange et Esch-sur- Alzette. « Ces projets sont hors normes, souligne Alexandre Londot. Ils impliquent la dépollution, le démantèlement d’infrastructures, mais aussi la conservation et la réhabilitation de certains bâtiments dans un but de préservation. 

Le SIG, socle de la stratégie numériques

Suivi du trafic en temps réel sur le quartier Belval.
Suivi du trafic en temps réel sur le quartier Belval.

Avec une équipe d’une vingtaine de collaborateurs, Agora s’appuie sur de nombreux bureaux externes (architectes, urbanistes, ingénieurs) et a fait du SIG un outil central de travail collaboratif : « C’est incontestablement un socle de notre stratégie numérique, à la fois un outil technique et un facilitateur de communication, autour duquel tout le monde travaille », affirme Dominique Seelen. Arrivé il y a huit ans, il est GIS Analyst au sein de la société de développement. Géographe de formation, tombé dans le support SIG, il fait le pont entre informatique et géographie. Son rôle a été de structurer progressivement l’architecture SIG autour d’ArcGIS Pro et d’ArcGIS Online. « Au départ, nous travaillions encore en 2D avec ArcMap afin de produire de simples cartes PDF. La bascule vers ArcGIS Pro nous a permis de passer à la 3D et de diffuser nos cartes en ligne à l’ensemble de l’organisation », explique-t-il. Tous les collaborateurs disposent aujourd’hui d’un compte ArcGIS Online en mode «viewer», leur permettant d’explorer les cartes et de superposer différentes couches d’information. « Cela facilite la prise de décision sans avoir à me solliciter pour chaque modification de carte », souligne le géomaticien. Les bureaux d’études et architectes partenaires bénéficient également d’un accès externe aux cartes, garantissant une collaboration fluide. Aujourd’hui, Agora exploite un large panel d’extensions de la plate-forme Esri : 3D Analyst, Spatial Analyst, Data Interoperability. « Nous avons aussi été les premiers au Luxembourg à utiliser ArcGIS Urban, ajoute Dominique Seelen. Et cela change beaucoup de choses pour automatiser les calculs urbains. » Esri Belux a joué un rôle clé dans la mise en place des différents composants SIG en accompagnant Agora dans la veille technologique et la formation. « Sans ce soutien, nous n’aurions pas pu avancer aussi vite, rester à la pointe et faire évoluer nos usages », reconnait Alexandre Londot. 


Articuler BIM et SIG : un défi technique relevé

Pour aller au-delà de la cartographie, Agora a choisi de croiser les données SIG avec les maquettes BIM, même si Alexandre Londot reconnait « qu’il n’est pas toujours simple de tracer la frontière entre les deux mondes. L’important reste de les faire dialoguer ». Il a ainsi mis en place un processus pour gérer l’interopérabilité des données : « Les modèles IFC issus de Revit sont d’abord intégrés dans ArcGIS Pro via l ’outil BIM to Geodatabase. Ils sont ensuite convertis en Scene Layer Packages pour être publiés dans ArcGIS Online. J’ai développé un script Python qui automatise ce flux, supprime les éléments inutiles comme les Opening Elements, des objets 3D générés dans les IFC qui ne sont pas reconnus par ArcGIS, et gère la transformation des systèmes de projection, étant donné que le Luxembourg dispose de son propre système de coordonnées de référence, LUREF. » Cette automatisation, qui pourrait en inspirer beaucoup, a permis de fiabiliser et d’accélérer le passage du BIM au SIG. « Un import IFC prend environ 30 minutes, mais désormais je peux traiter plusieurs modèles en parallèle. C’est ce qui nous a permis de bâtir des jumeaux numériques cohérents et exploitables », se félicite-t-il.

Deux approches de jumeaux numériques

À Belval, le jumeau numérique a d’abord servi à reconstituer l’existant. « Nous avons repris les plans des bâtiments déjà construits et réintégré tous les réseaux et infrastructures, explique le géomaticien. Progressivement, nous avons imposé l’usage de maquettes numériques aux architectes dès le stade concours, afin de pouvoir intégrer directement leurs projets dans notre maquette. Aujourd’hui, ArcGIS Urban permet d’aller plus loin : nous pouvons calculer automatiquement les surfaces, le nombre de logements, d’habitants ou encore estimer les besoins en services et commerces. Chaque lot peut être analysé individuellement, selon différentes métriques via un tableau de bord interactif ». « Ce jumeau numérique joue désormais un rôle d’outil de pilotage, précise Alexandre Londot. Il nous permet de mesurer en continu la densité urbaine, d’anticiper les besoins en services publics, et de comparer en temps réel différentes variantes du Plan d’Aménagement Particulier (équivalent au Luxembourg du PLU, ndlr.). C’est devenu un support essentiel de concertation et de négociation avec les communes, les promoteurs et les investisseurs. »

À Met zeschmelz, la démarche a été différente. Dans ce cas, tout a commencé par la numérisation complète des bâtiments existants, y compris les sous-sols et galeries techniques. « C’est une ancienne usine avec une complexité souterraine importante. Nous avons modélisé l’ensemble pour disposer d’une base fiable », raconte Dominique Seelen. Le projet en est encore au stade des études d’avant-projet sommaire d’aménagement paysager, mais toutes les données sont déjà intégrées dans le SIG. « Ici, le jumeau numérique sert avant tout d’outil d’anticipation, complète Alexandre Londot. Il nous permet d’évaluer les contraintes héritées de l’ancien site industriel, d’identifier les points sensibles et de tester dif férents scénarios de reconversion avant de figer un plan directeur. » Contrairement à Belval, il s’agit moins de densification immédiate que de construire un cadre réaliste et sécurisé pour la transformation future. Ces jumeaux numériques ne sont pas réservés aux techniciens. « Au départ, il s’agissait d’un outil de travail. Mais rapidement, nous l’avons utilisé aussi pour la communication valorisant l’attractivité du quartier auprès de décideurs et d’ institutionnels. » L’expérience menée pour le salon international MIPIM à Cannes depuis 2023 en est une illustration. Une maquette 3D interactive présentée sur écrans tactiles 4K a marqué les esprits. « Plus qu’un gadget, elle a permis de montrer la cohérence d’un projet urbain à des partenaires variés, du décideur politique au grand public », souligne le directeur des opérations. À terme, Agora envisage même de transférer les maquettes numériques aux communes en remplacement des plans papier as built. « Cela facilitera la gestion et l’entretien des infrastructures ».

 


Vers des situations et données temps réel

Si les jumeaux numériques d’Agora sont déjà fonctionnels, l’histoire ne fait que commencer. L’équipe envisage d’intégrer de nouvelles briques technologiques : simulation énergétique, hydraulique ou climatique, données de trafic en temps réel, voire IoT et capteurs connectés. « Nous réfléchissons aussi à la réalité augmentée, pour visualiser les soussols d’un bâtiment ou les réseaux à travers une tablette sur site. Ce serait une évolution naturelle », imagine le responsable SIG. La démarche innovante d’Agora a été saluée par la communauté mondiale des utilisateurs Esri. Lors de la conférence annuelle 2025, Agora a reçu un prestigieux SAG Award. « C’est une belle reconnaissance de notre travail et de l’apport du SIG et du BIM dans la fabrique de la ville », confie Alexandre Londot. Avec ses deux projets emblématiques, Agora a démontré que le jumeau numérique n’est pas une simple visualisation 3D, mais un véritable outil de planification, de gestion et de concertation. En s’appuyant sur ArcGIS et sur une articulation fine entre BIM et SIG, l’aménageur luxembourgeois s’impose aussi comme un pionnier européen, transformant la reconversion des friches industrielles en vitrine d’innovation urbaine durable.


X.F.

Article mis en ligne par la rédaction SIGMAG & SIGTV.FR